J’ai longtemps cru que c’était parce qu’il jouait de la guitare qu’on l’appelait « Clavier ».

Aussi loin que je me souvienne, depuis cinquante ans, il était mince, les cheveux longs, la démarche voûtée et la barbe naissante, vêtu d’un jean délavé et d’un blouson et bottes de moto pour monter à vélo. Toujours proche des jeunes filles, il avait un regard perçant et un imaginaire dérangeant.

Pourtant, il était là, toujours à côté des groupes, sans jamais en faire partie. Mais c’était Eric. Tout le monde le connaissait.

Il aura fallu que nos mères se connaissent pour que nous nous reconnaissions comme voisins.

Il aura fallu que nos places se côtoient sur un marché pour découvrir ta malice.

Il aura fallu tout ce temps pour que la confiance te permette de se rapprocher et de révéler toute l’étendue de ton intelligence, ainsi que la beauté de ton verbe, cachée derrière des blagues à la sémantique si pointue.

Aujourd’hui, on m’annonce que tu es parti rejoindre ta maman. Ta maigreur nous avait alertés lors de notre dernière rencontre. Tu étais passé rapidement, sans vouloir discuter, car tu savais que cela n’avait plus d’importance.

J’ai gardé ta dernière blague très précieusement. Elle deviendra culte lors de nos rassemblements. Tu es entré dans mon champ d’existence par hasard, tu en sors en rêvant sans doute, après avoir croqué la pomme et le vin, doucement, sans un bruit, sans même une note de musique.

Salut l’ami. À bientôt sur les bancs de Saint-Pierre-es-Liens, bien sûr.

DF – 2025-08-26